- NODULES POLYMÉTALLIQUES
- NODULES POLYMÉTALLIQUESParmi les différentes formes de dépôts polymétalliques présents sur le fond de l’océan (encroûtements, microconcrétions, sédiments métallifères, saumures, dépôts hydrothermaux), les nodules se distinguent par leur forme définie autour d’un objet dur appelé noyau. Ils ont été dragués, pour la première fois, le 18 février 1873, dans le sud-ouest des Canaries par le navire H.M.S. Challenger . Improprement appelés à cette époque«nodules de manganèse» en raison de leur forte teneur en cet élément (en moyenne de 15 à 25 p. 100 de manganèse et de 15 à 25 p. 100 de fer) qui sous forme de dioxyde leur donne leur couleur brun-noir caractéristique, les nodules ont pendant longtemps été considérés comme une simple curiosité de la nature. Puis, à mesure que se généralisaient les dragages des grands fonds ainsi que la photographie et l’imagerie sous-marines, on s’est aperçu que les «champs de nodules» couvraient d’énormes surfaces dans les plaines abyssales des océans, et tout particulièrement dans les zones à faible taux de sédimentation. L’universalité de leur répartition et surtout leur teneur relativement élevée en cuivre, nickel et cobalt les a transformés, au début des années 1960, en un minerai potentiel. C’est pourquoi, à côté des recherches technologiques et économiques, de très importants programmes nationaux de recherche scientifique se sont développés depuis cette époque dans de nombreuses nations industrialisées pour tenter de résoudre divers problèmes liés de près ou de loin à la possibilité de leur exploitation; il convient en effet de déterminer aussi bien la localisation des champs de nodules que leur structure, leur minéralogie et leur composition chimique, ou le mode de formation et l’origine des éléments qui les constituent.Localisation des champs de nodulesLes champs de nodules se trouvent essentiellement dans les plaines abyssales. Ils se situent néanmoins aussi sur les marges continentales, sur les montagnes sous-marines ainsi que, en milieu continental, dans les lacs. Dans les grands champs, les nodules peuvent être quasi jointifs, atteignant jusqu’à 30 kilogrammes par mètre carré, ou moins denses: la variabilité est très grande à l’intérieur d’un même champ, même à très faible distance. Il arrive, en effet, qu’en quelques centaines de mètres on passe d’une couverture à 75 p. 100 de nodules à une absence totale. Cette irrégularité de répartition semble liée à des phénomènes locaux comme l’existence de microreliefs ou de courants et la présence ou l’absence d’objets pouvant servir de noyaux d’accrétion. Bien que les champs de nodules à la surface des sédiments soient la manifestation la plus spectaculaire et, probablement, la seule possible à exploiter, les progrès réalisés dans la technologie du carottage, grâce en particulier au développement des carottiers de grand diamètre, ont permis de montrer que les nodules existent aussi enfouis à différentes profondeurs dans le sédiment, et très probablement sous forme de lits continus. Ce phénomène n’est d’ailleurs pas limité à la sédimentation actuelle ou récente, puisqu’on trouve des niveaux de nodules fossiles aussi bien dans des formations profondes anciennes comme les argiles rouges de la fin du Crétacé près de Niki Tiki dans l’ouest de l’île de Timor en Indonésie, ou en Sicile, que dans des formations de marge continentale ou de montagnes sous-marines comme les nodules crétacés du Briançonnais.La région géographique la plus importante, celle où l’on trouve les nodules les plus nombreux et les plus riches en métaux d’intérêt économique, est la zone du Pacifique nord équatorial (entre 5 et 200 de latitude nord environ) entre 3 000 et 6 000 mètres de fond. Dans le Pacifique sud, on retrouve une zone de forte densité centrée sur la région Marquises-Tuamotu, mais les nodules n’y sont pas aussi riches en nickel, cuivre et cobalt que dans le Pacifique nord. Dans l’océan Atlantique, les champs de nodules sont essentiellement localisés dans les zones abyssales du bassin occidental. Dans l’océan Indien, les plus fortes concentrations se trouvent dans les dépressions longeant les flancs de la dorsale océanique. On a enfin repéré une zone de forte concentration dans l’océan Antarctique, à environ 600 de latitude sud entre 50 et 1700 de longitude ouest. La variabilité, aussi bien en densité qu’en forme et en composition chimique, semble être une des caractéristiques dominantes de l’ensemble de ces dépôts. On remarque néanmoins que ceux-ci sont toujours liés à la présence de matériel pouvant constituer un noyau et à des zones de faibles vitesses de sédimentation.Structure, minéralogie et composition chimiqueLa taille des nodules varie entre un centimètre et quelques dizaines de centimètres. Leurs formes peuvent être très diverses, allant de la sphère parfaite à des agglomérats complexes en passant par des formes ellipsoïdales plus ou moins dissymétriques. Leur surface externe est soit lisse, soit mamelonnée. Leur couleur va du brun mat, pour les nodules riches en fer, au noir brillant à reflets métalliques. L’objet dur autour duquel les nodules sont généralement formés, soit reste clairement apparent en coupe, soit peut avoir été fortement altéré et imprégné d’oxydes au point de ne plus être visible à l’œil nu. La nature de ces noyaux est très variable; les plus courants sont des fragments de roches volcaniques plus ou moins altérées ou des blocs de sédiment induré; cependant d’autres objets comme des branches de corail, des dents de requin ou des otolithes de Cétacés peuvent servir de noyau. Des fragments d’anciens nodules sont parfois repris, dans certaines régions comme le Pacifique nord, comme noyaux d’une nouvelle précipitation. Dans une certaine mesure, la taille et la forme du noyau sont responsables de la taille et de la forme des nodules. Autour de ces noyaux, les structures internes des dépôts d’oxydes se présentent fréquemment sous forme de couches concentriques sinueuses bien définies et visibles à l’œil nu en section polie. Ces couches ont généralement des compositions chimiques ou minéralogiques différentes leur donnant une réflectivité différente. À l’intérieur de ces couches, les précipités montrent des formes d’accrétion extrêmement sinueuses dites «colloformes» ou «bothryoïdales» ayant elles-mêmes des compositions chimiques et/ou minéralogiques différentes.Les oxydes des nodules, essentiellement oxydes de manganèse et de fer, sont peu cristallisés. On peut cependant noter, pour le manganèse, la présence de todorokite et de birnessite et, pour le fer, de goethite. Ces constituants minéralogiques sont importants, car ils semblent gouverner les enrichissements en métaux traces: ainsi, par exemple, les nodules riches en todorokite seront plus riches en nickel.D’un point de vue chimique, les trois principaux constituants des nodules sont les oxydes de fer et de manganèse, dans des proportions relatives variables, et la silice qui, sous forme de silice amorphe, peut en général former jusqu’à 30 p. 100 des nodules.En pratique, tous les éléments de l’eau de mer se trouvent plus ou moins concentrés dans les nodules; les nodules d’intérêt industriel sont ceux pour lesquels la somme nickel, cuivre, cobalt est supérieure à 2 p. 100.La caractéristique chimique essentielle des nodules est, là encore, la grande variabilité de composition, non seulement à l’intérieur d’un même champ, mais aussi à l’intérieur d’un même nodule.Mode de formation et origine des éléments constitutifsDès 1891, Murray et Renard, à partir de leurs observations à bord du navire H.M.S. Challenger , proposaient comme origine des éléments constitutifs des nodules l’eau de mer, l’attaque lente des roches volcaniques par l’eau de mer et les sources hydrothermales. On a également proposé comme autre origine, au moins pour le manganèse, la dissolution de celui-ci dans les zones réductrices profondes des sédiments, suivie d’une reprécipitation à l’interface oxydante eau-sédiment. Une origine biologique, essentiellement bactérienne, a aussi été suggérée. Pour Bonatti, ces origines diverses se traduiraient par des compositions chimiques différentes: les dépôts formés à partir de l’eau de mer auraient des teneurs en fer et en manganèse très voisines et seraient riches en éléments traces (surtout nickel, cuivre et cobalt). Une origine plus directement liée au volcanisme ou à l’hydrothermalisme donnerait des dépôts pauvres en nickel, cuivre et cobalt, plus riches en fer près des sources, et s’enrichissant en manganèse en s’éloignant de celles-ci. La remobilisation du manganèse dans la colonne sédimentaire conduirait à des nodules riches en manganèse et pauvres en fer ainsi qu’en métaux traces.Cependant, malgré les très nombreuses études, tous les mystères liés à la présence des nodules sont encore loin d’être éclaircis et l’hypothèse généralement admise selon laquelle la majorité des nodules se forment de façon extrêmement lente à partir des éléments dissous dans l’eau de mer, à une vitesse de quelques millimètres par million d’années (déterminée par la mesure de différents éléments radioactifs), soulève en réalité plus de problèmes qu’elle n’en résout. Comment se fait-il, par exemple, que des objets, vieux de plusieurs dizaines de millions d’années, se trouvent à la surface de sédiments récents? On a évoqué, à ce propos, la bioturbation (perturbation due à l’activité biologique), mais l’explication semble difficile à admettre lorsqu’on voit les champs où les nodules sont jointifs et la taille et le poids de certains d’entre eux. Comment expliquer, d’autre part, l’extrême variabilité de composition chimique à l’intérieur d’un même nodule? Un lent dépôt à partir de l’eau de mer devrait en effet présenter une parfaite homogénéité. Comment expliquer aussi, même pour les nodules non sphériques, la concentricité des couches autour du noyau? Des retournements périodiques des nodules ont été invoqués. Une origine liée au volcanisme ou à l’hydrothermalisme sporadique pourrait, en revanche, rendre compte des caractéristiques précédentes, car les nodules se seraient formés rapidement dans un milieu non homogène. Mais elle n’est actuellement pas admise, car on se heurte à deux questions: pourquoi les différentes méthodes de datation donnent-elles des vitesses de formation du même ordre de grandeur et toujours lentes? Est-il possible qu’il y ait eu dans le passé des phénomènes hydrothermaux ayant eu une ampleur suffisante? Les découvertes, de plus en plus nombreuses, de sources hydrothermales actives au fond des océans et les évaluations des flux de métaux ainsi apportés à l’océan devraient permettre de répondre à ces questions.La question reste donc ouverte, et des études, non pas des nodules eux-mêmes, mais surtout de leur environnement, restent encore nécessaires pour comprendre l’origine de ces curieuses formations.
Encyclopédie Universelle. 2012.